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La proposition européenne de création d’un système juridictionnel des investissements


 

 

 

Le 12 novembre 2015, la Commission européenne a rendu publique et mis sur la table des négociations avec les Etats-Unis une proposition relative au chapitre sur l’investissement du Projet de Partenariat Transatlantique de Commerce et d’Investissement entre l’Europe et les Etats-Unis (le TTIP) (la Proposition Européenne). Le texte contient des recommandations destinées à remédier aux principales critiques adressées à l’arbitrage d’investissement : limites apportées au pouvoir général des Etats, développement de demandes fantaisistes, manque de transparence, etc…

 

La plupart de ces mesures sont innovantes et judicieuses. Il est probable que la proposition la plus innovante, même si elle se trouve être en même temps la plus critiquée, soit celle visant à la création d’une Cour permanente destinée à entendre les litiges relatifs aux investissements relevant du champ du TTIP (la Cour d’investissements).

 

La Proposition Européenne prévoit la création d’un tribunal de première instance et d’une cour d’appel pour les litiges relatifs aux investissements. Il est possible de former appel soit sur le fondement de l’article 52 de la Convention ICSID soit sur le fait que le tribunal de première instance (i) a commis une erreur dans l’interprétation ou la mise en jeu de la loi applicable ; ou (ii) a manifestement mal interprété les faits.

 

La mise en place d’un mécanisme d’appel en matière d’arbitrage d’investissement est un sujet d’actualité. Le Secrétariat du CIRDI avait déjà fait des propositions en la matière. Cela dit, la formulation spécifique de la Proposition Européenne comporte un risque. En effet, les arguments susceptibles de fonder un recours en appel, tels que la simple erreur d’interprétation ou d’application de la loi, ou encore l’erreur manifeste d’appréciation des faits (NB : la loi nationale est considérée comme un fait en matière d’arbitrage d’investissements) sont définis trop largement et laissent ouverte la possibilité d’appels systématiques. Le texte de la Proposition Européenne énonce que la décision d’appel doit être rendue dans les six mois. Cela semble difficilement réalisable dans le cas où la cour d’appel doit examiner de nouveau les faits de l’espèce.

 

Les deux juridictions seront composées d’un nombre fixe de magistrats : en principe 15 pour le tribunal de première instance et 6 pour la cour d’appel, nommés pour une durée de 6 ans. Un tiers des juges devra être de nationalité américaine, un tiers issu des Etats membres de l’Union Européenne et enfin un tiers devra appartenir à un troisième Etat.

 

Les critères de sélection des juges sont particulièrement stricts. Ils devront notamment réunir les conditions requises pour l’exercice de fonctions juridictionnelles dans leurs pays respectifs et ne devront pas agir en tant que conseil, expert désigné par les parties ou témoin dans une procédure nouvelle ou en cours ayant trait aux investissements. En pratique, ce dernier critère empêche les praticiens de l’arbitrage d’être désignés. Ce n’est pas nécessairement une bonne chose, vu l’expertise des praticiens de l’arbitrage en matière de législation relative à l’arbitrage d’investissement et leur large expérience dans les arbitrages d’investissement. De façon plus générale, une liste exhaustive peut seulement être valable quand les considérations politiques n’ont pas eu d’impact sur son établissement. Dans le cas de la Proposition Européenne, le mode de désignation des juges n’est pas clair.

 

En ce qui concerne la constitution du panel destiné à statuer sur une affaire, le Président du tribunal de première instance / de la cour d’appel (sélectionné parmi les juges ressortissants des trois Etats) désigne les arbitres en fonction d’une rotation, destinée à ce que la composition de chaque formation soit aléatoire et imprévisible. En ce qui concerne plus particulièrement la cour d’appel, la possibilité que la composition soit imprévisible est plutôt faible étant donné qu’elle n’est composée que de six membres.

 

Enfin, en ce qui concerne les étapes suivantes, la Proposition Européenne sera mise sur la table des négociations américaines. A la suite de ces négociations, le texte définitif sera inclus dans le TTIP. Quelles sont les chances que le TTIP définitif instaure effectivement un système juridictionnel des investissements ? Le partenariat Trans-Pacifique, conclu entre les Etats-Unis, le Canada et plusieurs pays d’Amérique Latine et d’Asie concerne les arbitrages Etats-Investisseurs. Cela pourrait indiquer que les Etats-Unis sont réticents à tenter l’approche de l’ICSID. Dans tous les cas, le futur nous montrera si nous sommes à l’aube d’un développement majeur concernant la résolution des litiges Etats-Investisseurs.


Une version longue de cet article, présentant les innovations importantes du chapitre sur l’investissement du TTIP a été publiée en anglais sur Kluwer Blog le 29 décembre 2015.