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Class action : la montagne a accouché d’une souris

LJA_logo25 janvier 2015 – N°1240
 
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Il est des réformes que la justice attend pendant des années, qui suscitent des débats passionnés, font l’objet de multiples rapports et commissions, pour n’aboutir au  final qu’à l’adoption, après de très nombreuses années, d’un texte décevant. L’action de groupe en fait partie. Il faut bien l’avouer, à notre grande déception, cette loi voulue libératrice des droits des victimes civiles de small claims, ces préjudices de quelques dizaines ou centaines d’euros, a tout simplement manqué sa cible ou s’est muée en miroir aux alouettes.

 

L’action de groupe, véritable serpent de mer du droit de la consommation, a vu le jour par la loi Hamon du 17 mars 2014. Elle permet à un groupe de consommateurs de se réunir, sous le contrôle d’une association agréée, pour agir en justice contre une entreprise n’ayant pas respecté ses obligations légales ou contractuelles en matière de consommation, et d’obtenir ainsi réparation de leur préjudice financier à l’exclusion de toute demande de dommage moral. Ce périmètre réduit et cette obligation de passer par la “médiation” d’une association agréée ont eu pour effet que seules 6 actions ont été introduites en un an, depuis l’entrée en vigueur le 1er octobre 2014, ce qui suffit à révéler que le mécanisme fonctionne au ralenti.

 

Tiraillé entre les avocats qui voulaient une grande réforme ouvrant le droit d’agir en justice à des actions collectives sous le contrôle d’un juge chargé du classement des causes, et les tirs de barrage des représentants de l’entreprise craignant une déferlante d’actions venant dégrader la santé financière de sociétés déjà fortement impactées par la concurrence internationale et le caractère atone des marchés, le gouvernement a choisi de renouveler un modèle déjà connu, la réforme qui ne change presque rien, aussi appelée « réformette ».

La France s’enferre dans une logique de fausses réformes

Le dernier amendement du dispositif en est encore la preuve. La loi Santé, portée par Marisol Touraine et récemment adoptée, instaure des actions de groupe pour les patients victimes de dommages médicaux dus à leur traitement. Présentée comme une « avancée démocratique majeure » par la ministre, le dispositif n’est en fait qu’un trompe l’oeil. L’article 45 de la loi autorise simplement les patients à porter plainte collectivement, par l’intermédiaire d’associations de santé agréées. Mais, dans les affaires les plus complexes, la réforme ne simplifie en rien le parcours d’obstacles des patients. Alors qu’aujourd’hui une victime de dommages corporels a la possibilité de se joindre à l’action pénale ou de saisir le juge civil d’une procédure en référé, le nouveau dispositif permet simplement à plusieurs victimes d’aller rechercher ensemble, sous la bannière d’une association, la responsabilité d’un laboratoire. La démarche initiale peut sembler plus aisée mais qu’en sera-t-il de ses effets ? Le travail d’indemnisation du juge n’est pas facilité, la preuve du dommage peu clarifiée, la distinction du fait pénal et du dommage civil toujours aussi technique.

 

À l’heure où les États- Unis envisagent de limiter les class actions, la France s’enferre dans une logique de fausses réformes qui ne font que compliquer les exceptions procédurales. Quand assumerons-nous un véritable changement de modèle ou la conservation de l’existant ? Le modèle français est basé sur un principe Colbertiste dans lequel l’État joue un rôle de garde-fou à l’égard des victimes civiles, alors que d’autres pays ont choisi une régulation externe par le juge chargé d’apprécier au cas par cas les dommages subis collectivement par
les victimes (comme aux États-Unis). Aussi, soit il faut ouvrir le recours collectif, mais l’État et les corps intermédiaires associatifs devront reculer, soit il convient simplement de maintenir le système tel qu’il est en laissant les magistrats faire évoluer la jurisprudence source de droit. Les récents atermoiements sur les possibles recours en matière environnementale en sont une illustration notable. La meilleure réforme consiste parfois à ne rien changer.