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Le développement de l’arbitrage en matière de propriété intellectuelle

logo_decideurs14 janvier 2016 – N°4141 – contentieux & arbitrage
 

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La protection des droits de propriété intellectuelle connaît une mutation rapide dans le contexte d’internationalisation des échanges et de relations contractuelles. L’arbitrage et les questions d’arbitrabilité sont au centre des débats pour fournir aux entreprises des outils opérationnels de sécurisation et de valorisation de leurs droits. Les réformes récentes et la pratique contentieuse internationale incitent les justiciables à se tourner vers les arbitres pour optimiser la représentation de leurs intérêts

 

Les droits de propriété intellectuelle deviennent de plus en plus souvent les clés du succès des projets de croissance. Dans un environnement internationalisé, les modes de protection traditionnels de ces droits (brevets, dessins et modèles, droits d’auteur et marques) par le juge national ont tendance à s’avérer inadéquats. Aussi, de nombreuses sociétés s’approprient l’arbitrage pour résoudre leurs difficultés et s’aligner sur les pratiques de leurs concurrents à l’étranger, souvent défendus par des spécialistes de  l’arbitrage en matière de propriété intellectuelle. Procédure privée, souple, rapide et confidentielle par excellence, dont la légitimité repose sur le consentement et des principes procéduraux forts, l’arbitrage se révèle particulièrement adapté, notamment dans un environnement international hautement concurrentiel.

 

L’exploitation contractuelle génère l’essentiel des arbitrages internationaux

Plus précisément, c’est l’exploitation contractuelle des droits de propriété intellectuelle qui génère l’essentiel des recours depuis plusieurs années. On ne compte plus les décisions rendues en matière de contrats de licence de brevets sous l’égide de la Chambre de commerce internationale (CCI) ou du centre d’arbitrage de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI). Mais le contentieux arbitral de la nullité, la déchéance (marques), la titularité et la contrefaçon commencent aussi à se développer, ce qui est tout à fait nouveau et remarquable s’agissant, notamment, de cette dernière compte tenu de la persistance de certains obstacles techniques et psychologiques. Jusqu’en 1971, la jurisprudence française  déduisait de la compétence exclusive des tribunaux de grande instance l’exclusion absolue du recours à l’arbitrage.
Les choses ont évolué avec la loi du 17 mai 2011, le Code de la propriété intellectuelle retenant la compétence exclusive d’un tribunal de grande instance pour les actions civiles ayant effet en France tout en précisant que ces dispositions « ne font pas obstacle au recours à l’arbitrage, dans les conditions prévues aux articles 2059 et 2060 du Code civil. ». Aujourd’hui, sont arbitrables les conflits intéressant l’opposabilité des droits et leur déchéance, mais uniquement inter partes (seule l’annulation judiciaire d’un brevet ou d’une marque, par exemple, a un effet erga omnes), leur titularité et leur exploitation  contractuelle. Peuvent aussi être arbitrables des litiges relatifs aux inventions
de salariés et créations d’employés, à la revendication de propriété d’une invention et, surtout, à la contrefaçon en tant que délit civil. En revanche, sont exclus de l’arbitrage les litiges sur l’éviction, la saisie- contrefaçon et la contrefaçon en tant que délit pénal (prérogative de puissance publique).

 

L’arbitrabilité de la contrefaçon a des très forts avantages

L’arbitrabilité de la contrefaçon en tant que délit civil est également admise au moins sur le plan théorique. L’action en contrefaçon des droits de propriété intellectuelle est généralement (et quasi systématiquement en matière de brevets) précédée d’une saisie- contrefaçon, nécessaire à la preuve du délit. Les procédures arbitrales prévoient des modes de preuve (par exemple témoignage ou expertise) qui peuvent s’avérer tout aussi efficaces et ne nécessitent pas la saisine d’un tribunal étatique. La riposte quasi systématique du présumé contrefacteur devant les juges français consiste à solliciter l’annulation du droit de propriété industrielle (particulièrement en matière de brevets) ou l’inexistence du droit de propriété littéraire et artistique.

 

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Or, l’arbitre peut seulement constater la nullité sans la prononcer, celle-ci n’ayant d’effet qu’inter partes. Cette particularité plaide particulièrement en faveur de  l’arbitrage. Les risques d’annulation totale ou partielle des droits de propriété industrielle sont, en effet, très dissuasifs pour le plaignant qui envisage une action  judiciaire alors que la nullité du titre invoqué, si elle est admise dans une sentence arbitrale, ne peut avoir d’effet qu’entre les parties, le titre demeurant opposable aux tiers. Quant au poursuivi en contrefaçon, les tiers ignoreront sa condamnation du fait de la confidentialité de l’arbitrage. Si le contexte de la contrefaçon laisse souvent peu de place au dialogue, de nombreuses actions en contrefaçon ont pour fondement la violation d’un contrat de licence contenant une clause compromissoire. Dans ce contexte, l’arbitrage offre de nombreux avantages qui peuvent pousser des parties à soustraire leur litige au juge étatique :

– un cadre favorisant discussion et conciliation des parties pour préserver leur collaboration sur des projets futurs ou existants ;
– le choix d’arbitres ayant les compétences requises pour le traitement de dossiers particulièrement techniques ;
– un regroupement du contentieux au sein d’une instance unique évitant le fractionnement du litige entre différents ordres juridiques ;
– la neutralité de l’instance arbitrale pour une meilleure confiance des parties dans la procédure ;
– la possibilité de faire appel à des experts qualifiés pour le litige (notamment en matière de brevets) ;
– un large éventail de preuves (témoignages, affidavits…) ;
– une procédure souvent beaucoup plus rapide que les juridictions de compétence exclusive surchargées ;
– l’assistance et l’expérience des centres d’arbitrage (CCI, OMPI) ;
– une garantie de confidentialité du litige et de la sentence (hors recours) ;
– les risques d’annulation ou de non-reconnaissance des droits invoqués sont inexistants et la remise en cause de la validité ou de l’exploitation d’un titre n’a d’effet qu’inter partes ;
– un mode de résolution efficace du fait de la limitation des voies de recours.

 

Le recours à l’arbitrage apparaît donc bien comme une excellente solution pour régler les litiges mettant en oeuvre des droits de propriété intellectuelle. Des travaux sont en cours auprès des rédacteurs de l’accord organisant la juridiction unifiée du très attendu brevet dit unitaire, pour tenter d’étendre le champ de l’arbitrabilité. Les débats suscités par les droits de propriété intellectuelle révèlent les enjeux mondiaux qu’ils représentent pour les entreprises contemporaines. Confrontées à ces derniers, les sociétés ne peuvent plus se contenter d’une protection par un juge national dont les pouvoirs sont nécessairement limités par des frontières étatiques. L’ère du contrat, du règlement international des litiges relatifs à l’exploitation des droits, a indéniablement sonnée. De notre capacité d’évoluer dépendra notre potentiel de croissance.

 

LES POINTS CLÉS

  • L’arbitrabilité étendue des droits de propriété intellectuelle modifie la physionomie de leur protection.
  • Face à une internationalisation croissante d’accords contractuels, l’arbitrage devient l’outil de protection par-delà les frontières.
  • La confidentialité des procédures d’arbitrage de contrefaçon peut aussi contribuer à protéger une réputation voire générer des relations d’affaires.
  • Les modes de preuves disponibles en arbitrage international libèrent des contraintes des procédures nationales et permettent d’accélérer la recherche de solutions opérationnelles.